Projet Méthaboul : une détermination hors du commun

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Projet Méthaboul : une détermination hors du commun

Le groupe d’éleveurs porteurs du projet de méthanisation Méthaboul.

En rencontrant Emmanuel Cagnin et Bertrand Loup, on pourrait s’y méprendre, tant ils sont détendus, souriants et bavards. Mais ne vous y trompez pas, nous avons affaire à un groupe de redoutables porteurs de projets.

Il en a fallu de la volonté et du travail pour construire le projet Méthaboul. Celui-ci voit en effet le jour à 24 km de la plus proche conduite de gaz du réseau. L’objectif est clair : sauver les fermes familiales, des élevages de taille moyenne. Ce sont Emmanuel Cagnin et Bertrand Loup qui portent le projet. Ils représentent une association d’une douzaine d’éleveurs. Cela est très caractéristique d’une unité de méthanisation à 100 % agricole. Cette dernière se constitue à 75 % des apports issus de fumiers et lisiers (bovins lait et viande, caprins, ovins). Le reste provient de cultures intermédiaires. « La version XL des petites unités de méthanisation », résume Bertrand Loup, qui se trouve, avec ses collègues, au cœur du processus de financement.

8 millions d’euros pour le projet Méthaboul

Il a aussi fallu voir grand (ils estiment le projet à 8 millions d’euros et 18 GW de production) pour pallier l’importante distance de raccordement. Mais revenons-en à sa genèse, qui remonte à 2008.

Le contexte d’abord : au départ, il y a une tuilerie locale, elle aussi pénalisée par les distances qu’elle fait parcourir à ses camions de gaz pour sécher sa production. « À l’époque, les tarifs de rachat garantis étaient bonifiés en cas d’utilisation de la chaleur dégagée par le méthaniseur », rappelle Emmanuel Cagnin. La tuilerie ferme. Ce sont finalement une soixantaine d’emplois locaux qui disparaissent avec, à la clé, des fermetures de classes dans l’école. Un grand classique de la désindustrialisation. Le projet est donc ajourné.

Quel avenir ?

Au fil du temps, la pression s’accentue sur le foncier agricole. Jusqu’à menacer aujourd’hui installation et reprises : « Des personnes fortunées investissent dans la terre agricole pour défiscaliser dans ce secteur », explique Emmanuel Cagnin. Dans le même temps, ceux qui partent en retraite se constituent un complément de revenu en laissant leurs surfaces en délégation de travaux aux entreprises. Pour couronner le tout, à l’image des phénomènes déjà bien à l’œuvre dans les zones céréalières, coopératives et négoces commencent à cibler ces zones d’élevage pour signer des contrats de “délégation de terres”, afin de maintenir leurs volumes de production.

« Tout cela se fait évidemment sur les bonnes terres », constate Bertrand Loup, en insistant sur la pression terrible que cela met sur les agriculteurs. « Cela amplifie les dynamiques d’étiolement et complique les installations et la consolidation des exploitations. Les agriculteurs, in fine, imaginent d’aller chercher des investisseurs. »

« Alors l’avenir, ce serait ça ? », -ironise Bertrand Loup. Et Emmanuel Cagnin de répondre : « Ce n’est bien sûr pas ce que nous souhaitons. Tout ce que nous faisons, c’est pour sauver nos exploitations familiales et conserver notre autonomie, pour garder des familles et préserver l’activité. »

Sans ça, l’élevage condamné

Dès 2015, certains du secteur, dont le maire d’un village voisin (Charlas), portent la réflexion sur la méthanisation au sein de l’Association cantonale de vulgarisation agricole (Acva). Cette structure, qu’Emmanuel Cagnin présidait à ce moment-là, constitue historiquement le creuset des démarches collectives.

Pourquoi la méthanisation collective ? « Sans revenu supplémentaire, nous sommes conscients que l’élevage est condamné sur le canton », assène Emmanuel Cagnin. En tant que président de la cuma locale de Lespugue (Haute-Garonne), il peut en témoigner : les deux semoirs de semis directs viennent d’être vendus, la dynamique s’étiole sérieusement. « La méthanisation peut nous permettre de contractualiser sur 15 ans pour un revenu supplémentaire, que nous évaluons à un à deux Smic par exploitation, avec des tarifs de rachat garantis bonifiés pour les matières issues d’élevage. »

Faciliter la gestion des effluents grâce au projet Méthaboul

Rebondissant sur les propos d’Emmanuel Cagnin, Bertrand Loup enchérit : « Cela nous permettrait de planter davantage de couverts et de cultures intermédiaires, donc d’augmenter dans le même temps le retour au sol et d’améliorer les caractéristiques agronomiques, avec en particulier le digestat. » Avant d’ajouter : « La méthanisation simplifie également la gestion des effluents pour les éleveurs associés qui n’auront pas besoin de grosses capacités de stockage d’effluents ni de se conformer à des plans d’épandage, puisque les effluents seront collectés après le curage des bâtiments et restitués sous forme de digestat. Et nous serions aussi aux normes si nous passions en zone vulnérable aux nitrates. »

Un projet Méthaboul 100 % éleveurs

Sans compter le temps gagné à “retourner du fumier”. Car la revitalisation de la cuma de Lespugue, avec un service complet, fait partie des hypothèses, à l’image des nombreuses cuma qui gèrent aujourd’hui les aspects logistiques en amont et en aval des méthaniseurs. En 2015, la demi-douzaine d’éleveurs intéressés décide, sous la houlette de Bertrand Loup, de faire appel à un bureau d’études dans le but d’évaluer la faisabilité du projet.

À la recherche de subventions

Pour cela, l’Acva leur permet d’obtenir des subventions. « Il fallait que le projet soit assez important pour pouvoir soutenir le prix du raccordement. Comme nous n’étions pas assez nombreux, nous avons continué à travailler sans savoir ce que cela donnerait », explique Bertrand Loup, avant de poursuivre : « Après ces premières phases en 2019, nous avons également décidé de nous prendre en main et de ne pas trop nous reposer sur de -l’accompagnement. Nous voulions un projet d’éleveurs, être seuls au capital, garder la maîtrise de la qualité des apports, du digestat, et choisir nos process. »

Au fil du temps, le groupe se dirige vers un méthaniseur Hochreiter, créé pour fonctionner spécifiquement avec des matières premières issues d’élevages. « Nous avons choisi à dessein des équipements adaptés, robustes et économes en eau et en énergie. »

Le coup du rebours

En 2020, coup de massue : la Commission de régulation de l’énergie (CRE) refuse le raccordement du site au réseau. L’abattement, qui n’en sera que temporaire, gagne le groupe. Mais il se remet pourtant au travail seulement 24 heures après. Celui-ci sollicite la chambre d’agriculture de Haute-Garonne et, avec son appui, fait “sortir” d’autres projets de méthanisation dans le secteur. « Là, c’est devenu autre chose », s’amusent en cœur les deux éleveurs. Le groupe porte désormais un projet “de territoire”. Il fait tellement de ramdam qu’il contribue à la construction d’un rebours à Boussens (Haute-Garonne). Les rebours servent à faire “remonter” les surplus locaux de biogaz sur les réseaux de distribution et vers le réseau de transport. Ils sont ainsi acheminés vers un autre territoire et/ou stockés. Et qui dit “rebours” dit… “raccordement”. « Quand celui-ci est devenu possible, notre effectif a doublé, on est passés à 12 », s’enthousiasment-ils.

Méthaboul : un projet soutenu par les habitants

Toutes ces péripéties ont permis au groupe de comprendre les processus techniques à l’œuvre et d’appréhender l’écosystème économique de la méthanisation, en même temps que les rapports de force qui s’appliquent. Mais cela a aussi enclenché un long travail de concertation avec les habitants. Ces derniers voyaient en effet très positivement le retour d’une activité économique. Emmanuel Cagnin et Bertrand Loup avouent leur émotion à voir leur projet applaudi en fin de réunion publique par les habitants du village où sera implantée l’unité. Les éleveurs ont choisi le site : une parcelle à proximité d’une carrière, dans l’aire d’activité de l’ancienne tuilerie. « Un site très approprié, dans un secteur d’activité historiquement industriel, avec des voiries adaptées, proche des axes routiers. » Comme un clin d’œil au début du projet. Permis de construire puis étude Icpe (installation classée pour la protection de l’environnement) reçoivent la validation.

Aujourd’hui, le groupe travaille avec un conseiller spécifique, afin de bâtir le plan de financement du projet. « Les banques nous ont déjà démarchés. Nous cochons toutes les cases : petit collectif, base d’effluents, développement territorial, maîtrise technique », énumèrent Emmanuel Cagnin et Bertrand Loup. Les travaux ont démarré en octobre 2023 et la mise en production doit commencer début 2025. On ne peut que saluer le volontarisme de ce groupe et lui souhaiter tout le succès qu’il mérite.

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