Si «l’ennui naquit un jour de l’uniformité», on ne risque pas de s’ennuyer en ce moment sur le front des organisations de producteurs (OP)! En effet, le paysage reste à la fois divers et mouvant. Depuis l’avènement des contrats en 2011, elles se sont pourtant affrontées à de dures réalités. A l’époque, les coopératives avaient fait valoir que les liens avec leurs livreurs se feraient via le « contrat coopératif ». Le dispositif des contrats individuels, puis de création des OP (une chronologie que d’aucuns auraient préféré inversée), n’a donc concerné que les éleveurs livrant à des laiteries privées…
Leur mission : face à la fin des quotas, négocier prix et volumes avec les acheteurs. Chaque OP s’est ainsi trouvée face à un industriel… et dans un cadre d’action très «bordé» par le mix-produit(1) et les tactiques, incluant parfois des achats hors OP, desdits industriels.
La gestion des volumes, c’est l’autre fardeau dont ont hérité les OP… sans avoir toutes les clés de la maison! D’où, par exemple, l’appui apporté par certaines, aux offreurs et acheteurs de références. «La cessibilité des contrats s’est avérée nécessaire même si elle est peut-être ponctuelle», justifie Jean-Michel Yvard de l’Oplglo(2). Satisfait aussi que son OP ait pu obtenir parallèlement le maintien d’une attribution de volume contractuel de 200.000 litres pour les jeunes.
L'Avis de Jean-Michel Yvard, président de l’Oplgo (1)
Les indicateurs, LE sujet de 2016 Notre OP se veut résolument apolitique et « asyndicale » pour se situer essentiellement sur le champ de l’économie. C’est dans ce cadre que nous avons dû composer avec les besoins d’une entreprise qui n’a pas pour ambition de développer les volumes. Pour autant, à l’heure du renouvellement des contrats, il est impératif de revoir le mix d’indicateurs servant à définir le prix du lait. Ce sera LE sujet de 2016. Quant aux Aop elles ont un rôle à jouer, mais sur un champ différent, celui de l’échange d’informations entre OP, du lobbying, du soutien juridique aux OP, de la réflexion par bassin, ou encore de la manière de gérer les périodes successives de pénurie ou d’excès de lait sur le marché. A ce titre, il serait regrettable que les coopératives n’y soient pas impliquées… |
Les Aop mises en place trop tardivement
Les associations d’organisations de producteurs (Aop) verticales ou horizontales ont mis plus de temps à se créer. Dès 2013 pourtant, la fédération nationale des producteurs de lait (Fnpl) y voyait une pierre indispensable à la construction de l’organisation d’après-quotas et en avait même proposé des statuts. Mais entre producteurs, on n’a pas toujours été d’accord sur leur périmètre et leurs missions… Les réticences de certains pans de l’administration, craignant le risque d’ententes illicites, n’ont pas contribué à accélérer le mouvement.
Un sentiment d’inachevé
Commandé par le ministère de l’Agriculture, un rapport du conseil général de l’alimentation, de l’agriculture et de la forêt (décembre 2015), donne ainsi des premières années des OP, un sentiment d’inachevé : «Le point d’équilibre entre producteurs et acheteurs s’est largement déplacé au détriment des producteurs. A travers la contractualisation, les entreprises se sont assuré un approvisionnement ajusté à leurs débouchés, mais sans toujours répondre aux attentes des éleveurs de stabiliser leur revenu et de leur donner plus de visibilité.»
Si elles sont suivies d’effet, quelques préconisations de ce rapport pourraient donner de nouvelles armes aux OP. Il en va ainsi de la proposition d’un «contrat-cadre» unique, précisant les relations entre OP et collecteur, et instaurant un volume OP, là où certaines entreprises s’en tiennent farouchement à des conventions. On suggère aussi de faire évoluer le calcul du prix dans les futurs contrats.
Un contrat cadre OP-collecteur
Certaines OP ont ainsi commencé à travailler sur de nouveaux indicateurs de prix, adaptés au mix-produit de leur collecteur. D’autres imaginent un futur où l’on irait chercher des marchés de complément pour les éleveurs souhaitant des volumes en plus. «Il s’agit de construire avec nos collecteurs une relation mature et gagnant-gagnant», explique Gilles Durlin, membre du bureau de la Fnpl et président de l’OP Bailleul. «Cela peut se faire en identifiant des besoins précis correspondant à des marchés précis… et à une valorisation partagée. Cela permettrait de ‘bétonner’ le revenu sur une première part des volumes. Ceux des éleveurs qui souhaitent se développer au-delà pourraient le faire mais dans le cadre d’un second contrat, avec, en face, un second prix.»
Que les Aop se développent est un autre souhait, assez largement partagé, au moins sur l’approche territoriale. «Les OP pourraient y partager les informations clés sur les marchés et volumes, remarque Gilles Durlin. Et y chercher ensemble des solutions pour répondre aux défis respectifs de zones en déprise ou au contraire en surplus…»
L'avis de Marie-Thérèse Bonneaux, fédération nationale des producteurs de lait
Rééquilibrer la relation… Le fait que la signature des contrats individuels entre éleveurs et entreprises ait précédé la création des OP n’a pas permis à ces dernières d’occuper toute la place qu’elles auraient dû. C’est aujourd’hui le moment de rééquilibrer la relation entre elles et les collecteurs. Cela demande de la part des uns et des autres un nouvel apprentissage de la négociation pour entrer dans une réelle logique de risques partagés, et non supportés par le seul producteur. Beaucoup de paramètres peuvent et/ou doivent évoluer, à commencer par les indicateurs de prix, en fonction de chaque situation de mix-produit. L’idée d’OP commerciales peut aussi s’entendre… sous réserve qu’il y ait, derrière, un vrai projet de production en lien avec un marché bien identifié… mais pas si c’est pour aller sur le marché spot. Cela pourrait en revanche se faire autour de cahiers des charges spécifiques comme le « Lait à l’herbe », le « Lait au foin » ou autres. |
(1) mix-produit : positionnement produits/marché.
(2) Organisation des Producteurs Lactalis du Grand-Ouest.
Points de repères 2000 L’Union européenne annonce la suppression programmée des quotas laitiers. 2003 Assouplissement des références nationales. A l’inverse de ses concurrents, la France entre en sous-réalisation chronique… et dans une réflexion interprofessionnelle inaboutie sur l’organisation de la production après 2015. 2010 Un décret de décembre 2010 concrétise la conclusion de contrats laitiers individuels avant le 1er avril 2011 pour le secteur privé. Les coopératives « échappent » à cette obligation, mais élaborent une « charte d’engagement mutuel » avec leurs producteurs. Avril 2012 Un décret autorise la création d’OP laitières. 1er avril 2015 Date effective de fin des quotas laitiers. Fin 2015 On compte environ 50 OP pour 12 500 producteurs et 4,6 milliards de litres de lait (autour de 20% de la production française). 2016 Début des renégociations de contrats. |