« A l’origine, j’étais motivé par l’idée de me débarrasser des odeurs liées à l’épandage du lisier », qui incommodent tant les néo-ruraux d’une Seine-et-Marne de plus en plus urbanisée. « A plus ou moins long terme, on aurait dû se séparer des animaux », explique ce grand gaillard dont la famille gère la ferme depuis trois générations.
La solution fut la méthanisation: les effluents des bovins aboutissent maintenant par canalisation souterraine à une cuve de fermentation, qui restitue d’un côté du gaz, distribué ensuite par GRDF, et de l’autre un « digestat », bouillie organique quasi-inodore pour fertiliser les champs.
Au total, 10.000 tonnes d’intrants par an: 1/3 de fumier, 1/3 de cultures produites en lieu et place de jachères, 1/3 de résidus agro-alimentaires de Rungis ou d’ailleurs. Le mélange est broyé dans un mixeur avant de rejoindre la cuve de 3.600 m3.
Dans cette citerne de béton, la mixture marine à 40°C sans oxygène dégage du gaz, confiné sous une bâche bombée. Le méthane est ensuite épuré d’autres substances et sa qualité est contrôlée par GRDF qui, dans la foulée, l’injecte au réseau à 7 km.
De quoi alimenter 1.500 foyers, s’enorgueillit M. Mahé.
RETROUVEZ NOTRE DOSSIER SUR LA METHANISATION AGRICOLE, LE BIOGAZ OU ENCORE LA PRODUCTION D’ÉLECTRICITÉ.
Un revenu stable
La production de « biogaz » est en plein essor. Comme le gaz naturel (d’origine fossile), il permet de se chauffer, cuisiner et peut servir de carburant (bioGNV), sauf qu’il est renouvelable, présente un bilan carbone favorable et ne vient ni de Norvège ni de Russie.
En France, il est produit pour l’essentiel par les agriculteurs, qui y trouvent revenu complémentaire, emploi (deux embauches chez M. Mahé), engrais… Même si la pratique impose des précautions concernant la qualité du digestat, ou que les cultures spéciales ne concurrencent pas les usages alimentaires.
Aujourd’hui le pays compte 133 sites injectant du biométhane dans les réseaux, dont 32 lancés en 2019. L’an dernier a vu la production doubler, de 1 à 2 terawattheures (Twh) — loin cependant des 450 TWh de gaz consommés en France !
La loi vise 10% de gaz renouvelable dans les réseaux d’ici 2030. Mais pour GRDF, on pourrait atteindre les 30%: les déchets agricoles ont un potentiel de 150 TWh.
« C’est une révolution en marche », dit le directeur général de GRDF, Edouard Sauvage, en visite à Boutigny. « On est convaincu qu’à horizon 2050, dans une ambition européenne d’énergie décarbonée, le gaz naturel aura été remplacé par du renouvelable, que ce soit la méthanisation », ou des techniques comme la pyrogazéification ou l’hydrogène.
Pour cette filiale d’Engie, c’est un « changement de culture ».
« On était habitué à être plutôt en zone urbaine, on parlait de gaz de ville et là on s’ouvre au gaz de campagne! », dit M. Sauvage, dont le groupe doit présenter en 2020 un nouveau schéma directeur des réseaux, reliant notamment les méthaniseurs.
Sus aux agri-critiques
Les banques aussi ont dû se mettre à la page.
M. Mahé, qui a investi 6 millions d’euros (aide de la Région pour 18%, et emprunts), prévoit une rentabilité d’ici 10 ans. Jusque-là, les frais sont couverts par le tarif d’achat du gaz soutenu par l’Etat et garanti 15 ans.
C’est « une visibilité à long terme que l’on n’a plus, ni avec les céréales ni avec le lait », dit-il.
Sur le territoire, mille projets sont à l’étude.
Mais les acteurs du biogaz aimeraient un plus fort soutien de l’Etat: le projet de feuille de route énergétique de la France (PPE) prévoit 6 TWh injectés dans les réseaux en 2023, moins que la PPE en vigueur qui visait 8 TWh en 2023.
Pourquoi ? Ils pointent le faible prix du gaz naturel, sous l’effet du schiste américain.
M. Mahé, lui, savoure l’aboutissement de son projet.
« L’élevage est décrié parce que soi-disant il pollue, mais j’aimerais contredire les critiques: depuis 15 ans j’utilise moins de phytos, je ne laboure plus, mes cultures captent du CO2 », énumère-t-il. Prochaine étape : s’équiper en panneaux solaires.
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