Circuits courts et cuma, comment ça marche? «On les appelle circuits courts aujourd’hui. Mais ces circuits de distribution alimentaire n’ont rien de nouveau dans l’Aude. Ils ont résisté à tout et traversé bien des époques», analyse Nicolas Asensio, animateur du projet Catalyseur au sein de la fdcuma de l’Aude. Récemment, les Paniers de Tante-Henriette basés dans les locaux de la cuma de Caunes-Minervois ont pu relever le défi de l’augmentation de la demande en passant de 65 paniers (leur moyenne habituelle) à 170 lors du confinement de 2020.
Pendant le confinement, avec d’autres organisations audoises des champs de l’alimentation et de la solidarité, les cuma de Caunes-Minervois et du Petit Plateau ont en effet pris part à l’approvisionnement, mais aussi au financement et à la distribution de paniers et bons d’achat. Non seulement pour leurs clients habituels, mais aussi vers des publics isolés et/ou en difficulté.
Circuits courts en cuma: une solidarité nécessaire
Dans l’Aude, un tiers de la population doit faire au moins 25 km pour aller faire ses courses alimentaires, avec peu de transports en commun et des routes de montagne. En réalisant cet approvisionnement, ces groupes ont aussi permis à leurs adhérents agriculteurs d’écouler leurs productions, lorsque les marchés de plein vent ont fermé pour endiguer la propagation de l’épidémie de Covid 19.
«L’enjeu aujourd’hui est d’installer ces dynamiques qui se situent habituellement plutôt aux marges», poursuit Nicolas Asensio. Ne pas y faire appel qu’en cas de crise, ne pas les considérer comme des circuits tampon en cas de défaut des circuits ‘modernes’ ». Ne pas non plus les réserver aux plus aisés. «Mais bien les consolider et les rendre accessibles au plus grand nombre.»
Association au projet Catalyseur
L’équipe de la fédération des cuma de l’Aude souhaiterait donc installer cette dynamique dans le paysage, au bénéfice des agriculteurs et des consommateurs, du plus modeste au plus aisé. C’est pour cette raison qu’elle s’est associée au projet Catalyseur, porté par la fédération nationale des cuma.
Objectifs? D’abord identifier dans toute la France les groupes d’agriculteurs organisés pour l’approvisionnement en alimentation solidaire. Les comprendre, éventuellement les consolider. Puis, si leurs modèles sont transposables, les faire essaimer, et ensuite créer des passerelles entre tous les acteurs: agriculteurs, groupements de producteurs mais aussi collectivités territoriales, acteurs de l’économie sociale et solidaire, producteurs locaux, acteurs sociaux, groupements d’achats, tiers lieux, ingénieurs territoriaux, associations, entreprises…
«Nous avons procédé à deux types d’identification», souligne Nicolas Asensio. «Les initiatives actives et les projets en devenir». Les cuma de Caunes-Minervois et du Petit Plateau se situent plutôt dans la première catégorie. «Elles ont l’avantage de présenter deux modèles différents, et les groupes possèdent un recul important. Ces expériences constituent de belles sources d’inspiration dans le cadre du projet», complète-t-il.
Les Paniers de Tante-Henriette
En 2014, une partie des adhérents de la cuma de Caunes Minervois a créé un groupement d’achats, baptisé Les Paniers de Tante-Henriette, pour approvisionner des consommateurs locaux. Il réunit donc des adhérents, producteurs et acheteurs.
À l’inverse d’une Amap, les adhérents acheteurs ne s’engagent pas sur un volume minimum. Mais ils commandent à l’avance via une interface sur internet et peuvent venir chercher leur « panier » une fois toutes les deux semaines. Fruits, légumes, viandes, charcuteries, laitages, huiles, confitures, plats cuisinés, jus de fruits, pains, glaces, etc. La gamme de produits fermiers est très large, locale et si possible bio.
Les bénévoles se relaient pour amener les paniers dans des points de dépôts dans les zones les plus reculées, fonctionnement qui a montré toute sa pertinence pendant le confinement. La cuma sert de support au groupe pour la mise à disposition de matériels et d’espaces (hangar, espace clos).
Une solidarité concrète
Les volumes ont nettement augmenté lors du premier confinement (mars-mai 2020). Une dynamique vitale pour les producteurs dont les autres débouchés étaient fermés. Notamment les marchés. «Même si l’activité est redescendue depuis, note Nicolas Asensio, les volumes stabilisés sont supérieurs à ceux d’avant le confinement.»
«Le groupe a mis en place très tôt un ‘don solidaire‘ pour que les acheteurs puissent, au moment où ils paient leur panier, payer un petit peu plus. Ces dons sont consolidés de manière trimestrielle pour acheter des produits à un producteur. Lesquels sont ensuite reversés aux Restos du cœur», précise Nicolas Asensio.
La solidarité directe s’exprime donc à de multiples niveaux. Premièrement vers les producteurs, qui consolident leurs volumes et trouvent des débouchés à des prix corrects. Ensuite vers les consommateurs, qui se procurent des produits de qualité à des tarifs raisonnables. Et enfin vers les bénéficiaires des Restos du cœur, qui peuvent accéder gracieusement, à des produits de très grande qualité.
Amplifier les chaînes de solidarités
Le bureau de la cuma est aussi en train d’établir une convention avec le Secours catholique, s’inspirant du partenariat existant avec l’Épicerie paysanne ambulante et solidaire*. «Le Secours catholique s’appuie sur des groupements d’achats existants, et ajoute des ‘paniers’ à destination de ses propres bénéficiaires. Il prend en charge une bonne partie du coût (de l’ordre de 60%). Et le bénéficiaire et lr groupement d’achat financent le reste. Ce dernier peut de son côté se faire financer par une subvention, et bénéficier d’un crédit d’impôt», note Nicolas Asensio.
«Et la solidarité s’exprime même à d’autres niveaux, poursuit-il. Le groupement d’achat est animé par des bénévoles, ce qui demande du temps et quelques compétences en informatique. Ils gèrent les commandes, réceptionnent les produits, les ventilent, les livrent parfois. Le groupement fait aussi appel à un groupe d’insertion par l’activité économique, pour trente heures par mois aujourd’hui. Une partie de ce temps est financée par le Fonds pour le développement de la vie associative; la personne en parcours d’insertion intervient en renfort dans la préparation des paniers et la gestion administrative, pour soulager les bénévoles, eux aussi éprouvés par la montée en charge du groupement.»
«Cette initiative a trouvé son modèle, analyse Nicolas Asensio. Même s’il reste nécessaire de soutenir les bénévoles en cas de montée en puissance. Mais s’ils sont en capacité de mobiliser les ressources nécessaires pour actionner et amplifier les chaînes de solidarité.»
Par exemple, le groupe s’est vu accorder le financement d’une chambre froide, dans le cadre du plan de relance Alimentation locale et solidaire. Même si ce projet n’est pas intégré à la cohorte des initiatives soutenues via le dispositif Catalyseur, «il fait figure d’exemple, et sera présenté en tant que tel».
Circuits courts en cuma: du territoire à la « restau co »
Les adhérents de la cuma du Petit Plateau, ancrée dans la Haute Vallée de l’Aude, ont été aussi très actifs lors du premier confinement. Les 18 adhérents s’inscrivent dans les filières d’élevage et de maraîchage bio.
Ils ont, à ce moment-là, participé à titre individuel à la création de l’Épicerie ambulante paysanne et solidaire*, destinée à assurer une continuité d’approvisionnement aux publics isolés de cette partie montagneuse de l’Aude, ainsi qu’un revenu minimum aux petits producteurs locaux, également impactés par la situation.
Avec d’autres collègues, ils ont fourni jusqu’à 150 paniers hebdomadaires (fruits, légumes, laitages, viandes & charcuteries, céréales). À cette période, ils ont aussi donné aux Restos du cœur leurs invendus et « invendables » (consommables), et ont fourni des paniers aux personnels du CHU de Limoux.
Cette cuma est aussi moteur sur la réflexion territoriale autour de la restauration collective. Pour les adhérents, l’avenir réside plutôt dans la capacité des agriculteurs à s’organiser pour fournir du ‘demi-gros’.
6 millions de repas par an
En août 2020, ils ont impulsé la création du Groupement de producteurs fruits et légumes en terroir de la vallée de l’Aude. Missions ? Consolider les productions et assurer la gestion logistique pour approvisionner une dizaine de magasins de proximité.
Vient ensuite la restauration collective, qui représente 6 millions de repas par an dans l’Aude… pour des publics ‘stratégiques’. « Augmenter la part de produits locaux de qualité dans les cantines, les Ehpad et les hôpitaux, c’est le levier le plus puissant pour toucher tous les publics, y compris les plus précaires », souligne Nicolas Asensio, qui rappelle les objectifs de la loi Égalim (50 % de produits durables et de qualité et 20 % de bio en restauration collective).
Un horizon ambitieux, car les difficultés ne manquent pas pour fournir des brigades de cuisine habituées à travailler des produits plutôt industriels.
Les obstacles se situent bien sûr du côté des acteurs en place (industriels). Mais aussi au niveau du modèle économique, de la transformation, de la logistique (chaîne du froid mais aussi groupage, dégroupage, ventilation des commandes), de la nécessité d’une interface simple à la fois du côté des producteurs et des chefs cuisiniers.
Les producteurs de la cuma du Petit Plateau bénéficient de l’exemple ariégeois. En effet, ils sont producteurs tampons pour la Plateforme Terroir Ariège Pyrénées. Et elle permet aux établissements scolaires de ce département de respecter la fameuse loi Égalim.
*Mise en place par la Confédération paysanne de l’Aude, avec l’appui logistique du groupement d’achat La Musette (Nature & Progrès) et la Maison paysanne de l’Aude.
Circuits courts: pourquoi les cuma y vont
«Le projet politique de la fdcuma de l’Aude repose sur trois piliers, pose Évelyne Guilhem, sa présidente. L’environnement, l’alimentation, le territoire. Le tout en restant bien sûr apolitiques, souligne-t-elle. Nous vivons dans un des territoires les plus pauvres de France. Il faut s’accrocher pour vivre dans la Haute Vallée. Il y a des initiatives à développer pour que tout le monde puisse bien vivre dans l’Aude».
Investie dans les collectivités territoriales, Évelyne Guilhem a été sensibilisée à la problématique alimentation. Dans l’Aude, il existe plusieurs ateliers de transformation collectifs au cœur des circuits courts. La diversification des circuits alimentaires s’est reproduite à l’occasion du confinement. Mais la dynamique émane d’avant la crise sanitaire. «L’année dernière, ils ont fait un gros travail sur la valorisation des friches» dans cet esprit.
«Naturellement, les cuma sont amenées à apporter des solutions, d’autant plus qu’il y a de l’existant. Nous sommes capables de produire du concret. Nous répondons donc à ces sollicitations. Il s’agit de projets complexes, qui demandent du temps, prévient Évelyne Guilhem. Le projet Catalyseur nous amène à travailler avec des interlocuteurs inhabituels pour nous. Mais au final, cela nous permet d’accompagner les cuma dans leurs réflexions, de fournir du temps d’animation. D’aller chercher des financements aussi. Et les pouvoirs publics viennent de plus en plus nous chercher. Nous n’aurions pas imaginé cela, il y a quelques années.»
Des soutiens forts
Plan de relance Alimentation locale et solidaire : le ministre de l’Agriculture et de l’Alimentation a déployé dès le début de l’année 2021, 30 millions d’euros afin d’encourager les projets permettant aux personnes modestes ou isolées d’accéder à une alimentation locale et de qualité sur l’ensemble du territoire métropolitain et ultramarin.
Quant au projet Catalyseur, il s’agit d’un programme d’identification et d’incubation de systèmes d’approvisionnement en circuits courts des acteurs sociaux par les producteurs locaux. Son déroulement respecte quatre étapes clés: identifier, consolider, modéliser, essaimer.
A lire également: Circuits courts en collectif : plutôt point de vente ou plutôt magasin?