Parcelles à risque : ce qui fonctionne
On peut agir, sans forcément aller jusqu’au semis direct sous couverts vivants, même si certains y vont ! », souligne Hélène Pouget, d’Agri-Viaur, un programme d’actions coordonné par le syndicat mixte du Bassin Versant du Viaur, en Aveyron. « C’est encore mieux si on raisonne à l’échelle d’un bassin-versant. À l’échelle de la parcelle, il existe de petites interventions localisées qui ont fait leurs preuves, comme l’implantation de petites haies dans les zones d’écoulements préférentielles. L’idée est de réduire la vitesse de l’eau et de faciliter son infiltration, par tous les moyens. Oui, réduire la profondeur du travail, et labourer dans le sens perpendiculaire de la pente, c’est mieux. Il y a déjà des améliorations dans les exploitations, mais on est conscients que sur des événements aussi extrêmes que ceux du printemps 2023, c’est compliqué. »

Haie double sur talus, implantée dans une parcelle en Aveyron pour limiter l’érosion (©Agri Viaur)
S’il ne peut que constater les dégâts lors de fortes pluies, l’agriculteur dispose de quelques outils pour tenter de ralentir l’eau et la terre qui s’érodent pendant les intempéries. Le point avec Candice Chabot, Conseillère en agronomie, érosion et ruissellement au sein de la Chambre d’agriculture du Nord-Pas-de-Calais.
Pas de magie
« Il n’y a pas de recettes magiques. C’est une évidence pour toutes les personnes ayant déjà vu de fortes pluies s’abattre sur les parcelles agricoles. Néanmoins, si on ne peut pas bloquer l’eau lorsqu’elle est abondante, on peut tenter de bloquer la terre (souvent la partie la plus riche des sols) qu’elle emporte avec elle pour éviter qu’elle n’arrive en aval. »
Couvrir ses sols
La couverture permanente permet aux plantes, implantées durablement de capter l’eau mais aussi de retenir la terre. Dans une moindre mesure, les couverts d’intercultures peuvent empêcher l’eau de se répandre sur toute la pente. Cependant, « c’est une technique plutôt efficace mais l’implantation des couverts est conditionnée par le climat, fait remarquer Candice Chabot, conseillère spécialisée en érosion à la chambre d’agriculture du Nord-Pas de Calais. Pour qu’il soit utile, il doit être suffisamment développé. »
Des fourrières différenciées
« L’idée est d’implanter une bande enherbée ou du miscanthus entre la parcelle et les fourrières, explique la conseillère. Ou encore des cultures annuelles ou pérennes. Ce type de parcelles peuvent être disposées de manière stratégique sur le bassin-versant. » Dans la même veine, le découpage des parcelles peut être réfléchi en alternant les cultures d’hiver et de printemps afin de limiter l’érosion. « C’est plus facile à mettre en place mais cela peut représenter une contrainte pour certains parcellaires agricoles. »
Moins travailler son sol
Même si cela peut paraître une évidence, le travail du sol entraîne une mobilité plus importante des sédiments. Mais selon le travail réalisé, les agrégats peuvent également retenir de l’eau. « Le travail du sol et les conséquences dépendent vraiment du type de sol » , ajoute-t-elle. C’est à l’agriculteur de le connaître pour adapter ses pratiques s’il le souhaite. Il est aussi important de rappeler de travailler perpendiculairement à la pente si la forme de la parcelle le permet. Cela demande de s’adapter à la topographie des parcelles qui n’est pas toujours homogène.
De la matière organique
Un sol plus riche, grâce qui aura une meilleure structure, infiltrera mieux l’eau et sera donc moins sensible au ruissellement. « Mais augmenter le taux de matière organique demande du temps, la solution se trouve donc à long terme », ajoute-t-elle.
Pour lutter contre les précipitations de printemps, certains producteurs de pommes de terre optent pour les barre-buttes. Réalisées par des planteuses spécifiques, les petites buttes placées à la perpendiculaire entre les grandes buttes permettent de stopper l’eau qui pourrait dévaler entre les buttes. « Une technique qui demande un matériel spécifique et qui reste limité, ajoute la conseillère. Mais c’est relativement efficace dans les parcelles de pommes de terre au printemps. »
Rien n’est facile…
Parmi toutes ses possibilités, Candice Chabot tient à rappeler que « rien n’est facile. Si les agriculteurs sont bien conscients de l’enjeu et du risque, les techniques agronomiques restent parfois complexes à mettre en place. La météo, la gestion des ravageurs ou des adventices sont des aspects parfois peu maîtrisables. Il y a également un enjeu financier. » Cependant, le sol reste le capital de l’agriculteur qu’il convient de prendre soin. Si ces pratiques demandent du temps à mettre en place, elles ont le mérite de retenir les sédiments ou tout du moins d’atténuer les conséquences.
Elles peuvent aussi être complétées au cas par cas par des ouvrages d’hydraulique douce (voir ci-dessous).

La cellule ‘Érosion’ de la Chambre d’agriculture de la Marne a produit un formidable petit Guide de l’hydraulique douce en Champagne. Adaptable à toutes les zones, il est gratuit et disponible sur internet. L’hydraulique douce, ou ‘génie végétal’, permet de construire des solutions techniques à base de plantes vivantes ou mortes pour régler des problèmes de sols, notamment d’érosion.
De son côté, Franck Chevallier, de Paysages Fertiles (consuktant spécialisé dans le Keyline Design, méthode de gestion des eaux de ruissellement pratiquée dans les pays anglo-saxons), complète en listant des techniques issues de sa pratique : « Les parcelles peuvent être redécoupées par des fossés ‘à plat’. Le rôle de ces canaux en courbe de niveau est d’intercepter ce ruissellement, de le stocker le temps qu’il s’infiltre dans le sol. En sol très argileux, ces ouvrages sont peu pertinents. Dans ce cas, si la parcelle comprend une crête plus caillouteuse, on incline légèrement le canal pour diriger l’eau vers la crête et l’infiltrer dans cette zone. Une autre possibilité est de diriger l’eau vers une zone propice à la création d’une réserve collinaire. D’où elle pourra être réutilisée pour l’abreuvement ou pour l’arrosage lors de sécheresses. Des arbres peuvent être associés aux canaux pour en multiplier les effets : meilleure infiltration et rétention d’eau dans le sous-sol. Canal et alignement d’arbres peuvent être répétés tous les 10 m, 25 m… selon l’approche culturale de la ferme. C’est de l’agroforesterie avec un effet plus marqué sur l’hydrologie. »
Exploitation : TCS, SD… investir ou pas ?
Moins travailler le sol, ou moins profondément, pour réduire le risque érosif : cela semble évident. Oui, les sols bien couverts souffrent moins des épisodes de précipitations hors-norme. Pour autant, cela signifie-t-il qu’il faut se ruer sur les Techniques culturales simplifiées et les semoirs de semis direct ? « Attention aux effets d’opportunité », met en garde Sébastien Jalby, animateur agroéquipement au sein de la fédération des cuma du Tarn. Dans ce département, de nombreuses cuma ont investi dans des semoirs de semis direct. Si certains groupes ont désormais un ‘parc’ de 4 de ces semoirs, régulièrement utilisés, d’autres ‘dorment’ sous les hangars.

Le semis direct fait son chemin dans les cuma, comme ici à la cuma de Garlin (semoir Sola) dans les Pyrénées Atlantiques.
C’est la stratégie d’exploitation complète qu’il faut revoir
« Les groupes dans lesquels cette activité fonctionne sont ceux qui sont animés par des agriculteurs réellement engagés, qui ont réfléchi leur stratégie d’exploitation en ce sens : leurs assolements sont pensés pour cela, ils adhèrent à des associations spécialisées, regardent les références locales. »
« Ce sont des techniques exigeantes : il faut intervenir un semoir adapté à son sol, et au bon moment. Les utilisateurs ‘opportunistes’ ont vécu des échecs logiques, car on ne sème pas en direct de but en blanc, sans que le sol soit prêt en termes de structure et de biologie : il s’agit bien d’une stratégie d’exploitation complète qu’il faut revoir, des assolements à la commercialisation en passant par le parc matériels. Et tous les semoirs direct ne sont pas adaptés à tous les types de sols. » Même prudence concernant les techniques culturales simplifiées : « Dans certains secteurs du Gers, analyse Florent Georges de la fdcuma du Gers, ces techniques ont abouti à une intensification du travail superficiel. Ce qui a eu pour effet, sur certains sols, de faciliter le glissement de cet horizon très travaillé lors de fortes précipitations. » Des mises en garde importantes : un semoir de semis direct à lui tout seul ne pourra pas contrer les phénomènes érosifs.
En groupe, penser « territoire » et bassin versant
Mais pour lutter contre ce risque d’érosion, l’agriculteur peut s’appuyer sur ses voisins. Ensemble, des pratiques agronomiques peuvent être prises. À l’image d’un assolement concerté au sein d’un bassin-versant. L’idée est d’alterner les cultures d’hiver, d’été, pérennes et annuelles pour tenter de retenir l’eau.Outre les agriculteurs, les collectivités se sont emparées du sujet. Sur certains territoires, élus, agriculteurs, conseillers et experts se concertent pour réaliser des ouvrages afin de limiter l’érosion et ses conséquences. Quelques exemples.

Dans le Sud de l’Espagne, les Maures ont construit entre le VIIIe et le Xe siècle plus de 15 000 km d’acequias, de touts petits canaux, pour la plupart creusés directement à flanc de colline, permettant de ralentir et distribuer dans l’ensemble du bassin versant l’eau des rivières, de la pluie, de la fonte des neige. Aujourd’hui, sous l’impulsion des archéologues du MEMOLab, de l’Université de Grenade, des associations d’irrigants et des bénévoles dégagent et entretiennent ces structures, pour la plupart tombées
