Cette année, « les fruits sont à profusion, mais l’eau-de-vie n’est pas excellente car les fruits ont manqué d’eau », résume le distillateur, âgé de 57 ans. Depuis presque trois décennies, il transforme mirabelles, poires, raisins, prunes, coings, cerises… en eau-de-vie. « Je me promène de village en village avec mon alambic ambulant » tout l’hiver dans la Meuse, puis dans les Ardennes le reste de l’année, avec des incursions en Belgique grâce à des dérogations.
Ce jour-là, Sébastien Bradfer, un cariste de 44 ans, a apporté quatre tonneaux de mirabelles, soit 200 kilos, et un de poires. Les fruits ont fermenté dans un fût, couvercle ouvert pendant quarante jours après la cueillette l’été dernier, puis macéré plusieurs mois. « On a toujours été habitué à ramener nos fruits pour l’eau-de-vie. Mon père et avant lui mon grand-père le faisaient », explique le quadragénaire.
« Mon travail est de séparer par échauffement l’alcool du moût. J’envoie de la vapeur tout doucement pour libérer l’alcool et, après condensation, pour récupérer l’alcool pur », raconte M. Lachaise.
Avant de verser le contenu des bidons dans deux cuves en cuivre, le bouilleur de cru plonge un doigt ganté dans la macération pour goûter. « Ça sent bon! », annonce-t-il. Pendant plus d’une heure, l’artisan écoute les sifflements de la machine, tâte les deux cuves, vérifie la pression et garde un œil sur l’alcoomètre.
« Fête au village »
Dans sa caravane, installée juste à côté de son atelier ambulant, sont accrochées des photos de son père et de son grand-père, distillateurs ambulants eux aussi. « Petit, j’étais en vacances avec mes grands-parents. Je remettais le bois dans le feu, on me donnait la pièce. C’est comme ça que j’ai été intéressé par le métier », se souvient l’artisan. « Dans la Meuse, je dois être un des derniers. Dans les Ardennes, nous sommes quatre ou cinq, et plus beaucoup en France », souligne-t-il.
Son alambic, il l’a récupéré auprès de son père, qui en avait hérité du grand-père. « C’est un châssis américain que j’ai gardé, mais les cuves ont été refaites à neuf et il y du bidouillage maison » pour faciliter la manipulation. « Les trompes de péniche suédoises dénichées sur une brocante », qu’il fait vrombir grâce à la pression dans une cuve, ont été installées « pour le plaisir » et pour animer le village.
Ce matin-là, le thermomètre affiche -3°. Les pelouses du village de presque 500 habitants, situé à la frontière belge, sont blanchies par le givre. A quelques mètres de la place occupée par le distillateur pour cinq semaines, l’épicerie est fermée depuis longtemps.
En début de matinée, Sébastien Bradfer apporte « une omelette au lard préparée chaque année par (sa) mère pour l’occasion ». Une heure plus tard, le barbecue est installé pour un déjeuner réunissant des habitants. La présence de l’alambic, « c’est un peu comme une fête au village, c’est très convivial », décrit le quadragénaire.
« C’est folklorique! Il n’y a plus d’épicerie, plus de café, plus rien. Il ne reste plus que la boulangerie plus haut dans le village, donc l’atelier du distillateur apporte du mouvement », se réjouit Henri Raguet-Bradfer, 79 ans, qui habite juste en face. Le septuagénaire, qui redoute que « l’activité disparaisse », conserve dans sa cave des bouteilles d’eau-de-vie datant des années 1960. « Je ne bois pas une goutte d’alcool et ils me charrient ! », confie-t-il avec malice, en désignant le petit groupe d’hommes autour des cuves.
Peu avant 10heures, les premières gouttes d’eau-de-vie s’écoulent de l’alambic. « Elle est bonne! », annonce M. Bradfer dans un large sourire, après avoir goûté le liquide qui affiche 49°.
« Il y a de l’émulation entre clients, c’est à celui qui fera la meilleure eau-de-vie ! », s’amuse M. Lachaise, qui dit surtout apprécier dans ce métier « le contact avec les gens ».